Mythique

S’il est bien un oiseau qui symbolise le grand voyage, la migration, c’est la Grue cendrée, sans conteste.

Elle fît partie, voici déjà 23 siècles, excusez-la du peu, des très rares porteurs de plumes pour lesquels on admettait l’existence de migrations.

C’est presque tout dire.

Admiré par les hommes qu’elle fascinait, les oracles et autres mauvais augures voyant, dans ses passages, des signes divins qui, mal interprétés, conduisirent trop souvent à la guerre, la Grue est, on ne saurait plus, mythique.

Les Grecs anciens pensaient que, dans ses colonies, au dortoir, l’oiseau désigné comme guetteur, tenait une pierre dans la patte, pour se prémunir contre tout fâcheux endormissement qui l’aurait empêché de faire son devoir. La pierre tombant dans l’eau l’aurait ramené vivement à sa tâche essentielle.

D’autres, aujourd’hui encore, se satisfont de croyances plus simples et annoncent, à chaque mois d’octobre, que l’hiver sera froid car les grues sont passées.

La Grue partage ce privilège avec les oies, également cendrées, le plus souvent.

Loin de ces billevesées, nous sommes nombreux à nous réjouir de son retour ponctuel vers ses terres d’hivernage.

Il nous rassure un peu devant ce changement climatique qui nous chagrine et pourrait bien modifier son calendrier.

Sans doute un peu plus frileuse que son amie la Bernache cravant, elle n’hésite pas à rapidement glisser vers plus de Sud si les températures deviennent plus fraiches.

Nicheuse en Scandinavie, de plus en plus en Allemagne, elle n’a pas bien souvent à affronter les fort rudes températures de la péninsule de Taïmyr, il faut l’avouer.

Quand vient l’automne, elle prend son temps et s’accorde le droit de trainer en chemin, si les conditions météorologiques le lui permettent.

Au printemps, elle se montre plus empressée, subissant l’appel de ses hormones.

Que l’on ne s’y trompe pas. La Grue est bien connue pour sa grande réactivité aux circonstances climatiques locales. En certaines régions, quand l’hiver touche à sa fin, on peut constater une forme de ballet entre les groupes qui continuent à descendre vers le Sud, et ceux qui, bien au contraire, entament ou paraissent entamer la remontée vers le Nord-Est.

Ses effectifs peuvent aussi témoigner d’une très ample variation selon le lieu, selon le jour.

De 2 921 à 58 739 le lendemain…

La Grue aurait-elle donc un goût pour le jeu de Yoyo ?

Notre oiseau se singularise de bien des façons.

A l’instar des canards, elle se déplace, chaque jour, de ses remises nocturnes vers ses lieux de gagnage.

Mais, elle, le fait de jour, pour notre plus grande joie.

Réveillée dès l’aube, elle quitte ses dortoirs pour regagner, à de tranquilles coups d’ailes, son restaurant où il lui est servi des pousses tendres, quelques grains de maïs jonchant encore le sol après les récoltes automnales.

Elle revient avant la fin du crépuscule, sa ration quotidienne absorbée, pour profiter d’un repos bien mérité, bien que quelques vigiles se tiennent prêts à dénoncer l’intrusion d’un brutal sanglier ou d’un renard malin, ses deux principaux prédateurs.

Ce menu quotidien est très différent de celui qu’elle adopte au moment de la reproduction, plus riche en protéines et en graisses. Elle n’est pas la seule en ce cas.

La Grue cendrée migre en famille.

C’est l’une des exceptions à la dispersion familiale, règle en vigueur chez la plupart des espèces.

Ainsi, les jeunes de l’année sont guidés, découvrent l’itinéraire qu’il leur convient de suivre, ainsi que les étapes à respecter.

Mieux encore, les parents surveillent constamment leurs enfants lorsqu’ils s’alimentent, le cou dressé, prêts à donner le signal de la fuite.

Voici un bel exemple de transmission du savoir des anciens.

Les jeunes apprennent la route, les escales, les dangers.

Ce soutien scolaire ne cessera qu’aux prémices de la prochaine migration prénuptiale.

Les oiseaux de l’année ont la tête rousse, bien plus discrète que celle des adultes dont la calotte est ornée d’une belle tâche rouge.

Il s’agit, chez eux, d’une zone de peau nue colorée par des afflux sanguins dont l’action augmente, bien entendu, avec l’excitation provoquée par la croissance des glandes sexuelles et l’arrivée des parades et des accouplements.

Dans un vol pas trop lointain, il est possible aussi, de percevoir, dans la voix, des variations sensibles.

Entre les trompettes des adultes qui en tirent d’ailleurs leur nom d’espèce (de sortes de Grou) et les sifflets des jeunes qui prennent souvent la forme d’appels flutés.

Pleine de mystères, heureusement encore impénétrables, la Grue est, à elle seule, un poème et un rêve.

Parions, ensemble, qu’un matin ou un soir, après les fastes de l’été ou, avant que le printemps ne fasse son retour, nous lèverons les yeux au ciel, appelés par des appels ancestraux ou, pour certains, encore inconnus, en quête, sans le savoir, peut-être, de l’infiniment beau.

La profonde beauté d’un oiseau mystique.

Créé le 27/01/2016 par Patrick Fichter © 1996-2024 Oiseaux.net